Durant le confinement, certain·e·s d'entre nous étaient considérés comme des héros s'occupant des enfants de soignants. Aujourd'hui, nous serions des "tire-au-flanc" qui empêchent les salariés d'aller travailler. Décryptage d'une stigmatisation particulièrement difficile à digérer en la période.
Des agents de l’E.N. particulièrement malmenés et surmenés
Rappelons tout d’abord quelques évidences.
Les agents de l’Education nationale ne se sont jamais arrêtés de travailler.
Pas de chômage partiel les concernant. Mais des demandes fortes de la part de l’institution de réagir très vite pour maintenir des continuités – administratives, pédagogiques….. Bref, des continuités de tous ordres.
Le tout avec un accompagnement des plus chaotiques et pas de formation préalable. Classes virtuelles, modalités de communication avec les familles… il a fallu tout construire en un temps record. Nous étions alors les champions de l’adaptation et dépoussiérions l’image du mammouth.
Nous avons dû souvent investir dans du matériel, racheter un ordinateur, renouveler une imprimante, tirer sur nos forfaits téléphoniques. A nos frais.
Il a fallu ensuite tout reconstruire pour préparer l’accueil des élèves, là aussi en un temps record.
Et quoi qu’on en dise, le travail à distance s’ajoute bien au travail en présence.
Le résultat ?
Bon nombre de collègues sont au bord de l’épuisement.
Durant cette seconde phase de déconfinement, s’ils sont au secrétariat, ils passent de longues heures au téléphone à appeler des familles.
S’ils sont personnels de direction à refaire des emplois du temps et à tenter de maîtriser des applications de l’éducation nationale toutes les plus archaïques les unes que les autres.
S’ils sont enseignants, à continuer de mettre en ligne des cours, à répondre à des questions, à digérer un nouvel emploi du temps qui parfois doit être modifié le lendemain, à préparer un cours face à des élèves qu’ils ne connaissent pas ou à reprendre un cours qu’ils n’ont pas conçu. Tout en remplissant des bulletins et en faisant des calculs pour le moins étranges pour le brevet des collèges ou le bac.
Un protocole sanitaire particulièrement strict
Les agents de l’Education Nationale n’ont pas conçu le protocole. Rappelons qu’il y a un mois des gens s’exprimaient pour dire qu’un retour en classe en septembre aurait été préférable.
Il ne leur appartient pas de décider s’il doit être assoupli ou non. Ils doivent le faire respecter.
Evidemment des différences locales entre établissement entraînent des différences dans l’application de ce protocole. La réalité n’est pas la même en fonction de la taille des salles, de la présence de couloirs larges ou non, de points de lavage des mains ou tout simplement de personnel affecté à l’établissement.
En temps normal, l’institution peut par exemple considérer qu’il n’y a pas besoin, vu les catégories socio-professionnelles d’un établissement d’avoir beaucoup de surveillants. Mais en temps de covid, avoir seulement deux ASEN (Assistants de vie scolaire) à disposition peut susciter des difficultés et réduire considérablement la capacité d’accueil.
En temps normal aussi, personne – ou très peu – ne s’offusquait que des élèves ne puissent pas se laver les mains.
Malgré des plans de construction des collectivités, la configuration et l’équipement de certains locaux de l’E.N. se révèlent problématiques.
Taux de présence : un réflexe anti-fonctionnaire ?
En outre, rappelons que la scolarisation des élèves se fait sur la base du volontariat.
Comment faire revenir au travail des élèves qui parfois n’en ont pas envie du tout ?
Comment faire quand il y a des listes d’attente parce qu’on a atteint la capacité maximale d’accueil ?
Mais comme si toutes ces difficultés ne suffisaient pas à expliquer le nombre d’élèves accueilli, alors que cet accueil constitue déjà une prouesse en soi, un défi considérable, on pointe du doigt le nombre d’enseignants absents.
Bien sûr, c’est bien connu, les fonctionnaires sont des tire-au-flanc. N’étant pas tous et toutes présent·e·s, ils diminueraient la capacité d’accueil des établissements.
Rappelons que dans toutes les professions il peut y avoir des publics fragiles et que ces publics n’ont pas à se trouver sur des lieux de travail collectifs. Il faut aussi rappeler que ces personnels ne se tournent pas les pouces et qu’ils continuent de télé-travailler.
Il y a certes des autorisations d’absence accordées pour garder ses enfants. Les personnels de l’Education nationale n’auraient-ils donc pas eux-mêmes, parce que leurs enfants sont public prioritaire, de difficultés pour les scolariser ? Leurs enfants ne sont pas forcément scolarisés sur leur lieu d’exercice et eux aussi peuvent rencontrer des difficultés suite à l’existence d’organisations aussi variées….
Ou plutôt ne seraient-ils pas tentés, au vu des difficultés qu’ils connaissent bien, de les garder pour éviter une surcharge à leurs collègues, au risque de s’épuiser ? Combien de nos collègues font-ils le choix de garder leurs propres enfants pour laisser la place à d’autres ?
Solidaires mais ni responsables ni coupables
Alors, oui, en tant que cédétistes solidaires de nos collègues salarié·e·s dans d’autres entreprises, nous comprenons les difficultés qu’ils peuvent rencontrer à ne pas scolariser leurs enfants comme d’habitude. Le ministère a prévu des attestations pour indiquer à leurs employeurs l’absence d’accueil sur tel ou tel jour, telle ou telle semaine. Nous dénoncerons, aux côtés de nos camarades, les directions d’entreprise ou les employeurs qui n’en tiendraient pas compte ou feraient pression sur leurs salariés.
Mais nous n’en sommes ni responsables, ni coupables.
Et, à l’heure où beaucoup d’entre nous sommes au bout de nos limites, la stigmatisation est proprement insupportable.