Suite à l'assassinat de notre collègue, Samuel Paty, nous avons recueilli des paroles de collègues... et transmis à l'administration nos réflexions sur la journée de rentrée du 2 Novembre...
Paroles de collègues
Le ressenti est individuel, difficile de généraliser mais le sentiment qui ressort est quand même celui de ne pas être assez soutenu par la hiérarchie ou en tous cas de façon réactive et efficace, sans nous déjuger vis à vis des parents.
Bien entendu et heureusement de nombreuses situations sont réglées sans même que l’on ne le sache, mais justement ne deviennent -t-elles pas de plus en plus fréquentes ?
Quels problèmes sont rencontrés ? Quelles mesures pourraient être prises ?
- Il faudrait pouvoir porter plainte accompagné de la hiérarchie quand on est insulté et que ce soit au nom de la république ou de l’institution, pas en son nom propre…
- Avoir une information plus claire sur la protection fonctionnelle
- Il faut arrêter de dire « les directeurs décident » (port du voile pour les mamans accompagnatrices), il faut une règle claire venant de la hiérarchie, la même pour tous
- Les candidat⋅es accompagnateurs pourraient s’inscrire à l’inspection qui les autoriserait ou non
- Notre « obligation » de bienveillance envers les familles nous met en faiblesse
- Problème de la revendication de nourriture hallal à la cantine à gérer
- La réunion de rentrée devrait être obligatoire pour les familles, on présenterait la Laïcité
- Que répondre à un enfant qui dit Allah akbar ?
- Comment être partout à la fois ? surveillance de portail, enseignants absents, sollicitations…pour être cohérent avec l’alerte intrusion ?
Il faut que TOUS les citoyens, tous les pays fassent bloc, pas seulement les enseignants
Comment concevoir la reprise du 2 novembre et l’hommage à Samuel Paty ?
Les enjeux de la reprise après les congés se déclinent à la fois en terme de temps d’hommage dans les établissements, de temps pédagogiques et d’échanges autour des valeurs fondamentales, et aussi bien sûr en terme de sécurité dans et aux abords des établissements.
Permettre des échanges entre personnels le 2 novembre pour préparer et réussir un hommage mardi 3 novembre
On ne peut pas imaginer reprendre lundi 2 novembre matin comme si de rien n’était.
Un temps d’échange en équipe est indispensable dès la reprise, pour permettre à l’hommage de se passer dans de bonnes conditions et s’approprier la construction des réponses pédagogiques.
Cela passe obligatoirement par un temps banalisé, mais le créneau et la durée peuvent varier selon le type d’établissement (école, collège, lycée) et les contraintes locales.
Ensuite, si imposer une minute de silence conduisait (comme en 2015) à n’en surtout retenir que les rares incidents, nous aurons échoué. Il faut laisser aux équipes et aux établissements une autonomie dans l’organisation, y compris en choisissant des modalités alternatives, et que l’hommage puisse prendre d’autres formes plus adaptées si les équipes le jugent nécessaires.
Ouvrir la possibilité de ne pas faire l’hommage seul.e dans sa classe.
Faire bloc, ensemble, y compris à l’extérieur ou en plusieurs épisodes en raison du COVID. Peut-être lors de la pause méridienne ou de la sortie de la classe ? En extérieur, en invitant la mairie, la population…
Participation nécessaire et large des autres représentants de l’État et des élus (locaux, nationaux, régionaux, ), représentants de parents d’élèves pour incarner justement l’unité de la nation
Tenir compte de la spécificité de l’école maternelle : la minute de silence a peu de sens pour des enfants si jeunes. Mais les enseignants ont besoin de participer à l’hommage…organiser pendant le temps méridien devant l’école ?
Tenir compte de la spécificité des écoles isolées : le collègue ne doit pas se sentir seul, envisager un hommage devant la mairie ou l’école en présence du maire et de la population
Au lieu du silence, possibilité de faire une minute d’applaudissement en la mémoire de Samuel Paty (en Italie c’est ainsi que l’on salue la mémoire des héros)
Ajouter à la voix institutionnelle (lecture du discours de Mr Macron ou Mr Blanquer ?) des ressources mis à disposition des enseignants, et notamment des extraits de témoignages, à visionner et discuter avec les élèves
Les personnels meurtris ont besoin de confiance et de souplesse, de temps et de latitudes pédagogiques, et non de consignes verticales et injonctives.
Et après ?
Quelle place pour les parents ?
Les évènements témoignent de la réalité d’une défiance qui s’est installée entre l’école et certains parents d’élèves. Sans anticiper sur les demandes des fédérations de parents, nous devons les associer dans la réflexion à mener à moyen et long terme.
Il n’y a à notre sens rien à attendre en refusant de dialoguer avec les parents d’élèves. Cela n’empêche pas de tenir un discours ferme pour refuser les remises en cause inacceptables. Ce n’est pas parce qu’on entend la demande de certains parents qu’on la considère pour autant comme légitime, et encore moins qu’on soit prêt à y accéder.
Quelles relations avec les forces de police et avec la justice
Les faits doivent surtout nous interroger sur l’insuffisance de réponses internes à l’Éducation Nationale, sur des champs et des faits qui la dépassent. Si plusieurs niveaux de la chaîne hiérarchique ont alerté les services de police et de justice, ils sont restés dans l’ignorance du détail des mesures effectivement prises pour assurer la protection des lieux et des personnes. Notre première impression est que chacune et chacun a essayé de faire son travail de son côté, sans mesurer forcément l’ampleur des tensions, attisées via les réseaux sociaux. C’est cette absence de coopération suffisante qu’il faudra interroger, dans le respect des missions de chacun (enseignant, chef d’établissement, police, justice…).
A plus long terme, il faut engager le chantier des relations entre l’Éducation nationale et les administrations en charge de la sécurité. Nous ne demandons bien sûr pas que des policiers viennent dans les établissements, mais qu’un dialogue institutionnel et privilégié soit facilité, par exemple entre les chefs d’établissement et les responsables locaux de la police.
Dans l’immédiat, le rectorat doit identifier les établissements qui auraient connu récemment des remous, en particulier liés aux questions de laïcité, afin de prêter une attention particulière aux conditions pédagogiques de la rentrée mais aussi aux conditions de sécurité.