Territoires éducatifs : l’exemple de Brest

Territoires éducatifs, pour quoi ? L’enfant, le jeune évoluent dans un territoire où de nombreux·ses acteur·trice·s vont intervenir pour l’aider à construire son parcours éducatif et, ainsi, devenir un·e citoyen·ne responsable. Pour le Sgen-CFDT, tout dépend des alliances éducatives créées...

Dans « Territoires éducatifs, quels enjeux ? », dernier dossier de Profession Éducation (no 290 – Mars-avril 2023) des élues et responsables associatives (cf. ci-dessous Ressources complémentaires) ont témoigné de la volonté sociale et politique d’intégrer l’École dans un réseau de compétences territoriales de nature variée pour mener des actions locales éducatives adaptées aux besoins, évaluées et renouvelées. Vous trouverez ici la version intégrale des entretiens. T

Territoires éducatifsAdjointe au maire de Brest, déléguée aux politiques éducatives, Émilie Kuchel est également présidente du réseau français des villes éducatrices. Territoires éducatifs

Qu’entendez-vous par territoires éducatifs ?

J’entends la façon dont des partenaires institutionnels et de terrain, associatifs… se retrouvent pour construire un projet commun et parler des différences. Un enseignant n’est pas un éducateur de rue qui n’est pas une collectivité. Chacun doit comprendre le rôle de chacun et nos complémentarités, et analyser ce qui fait une communauté éducative. Au centre de cela, l’enfant et sa famille.

Trop souvent, la famille doit rencontrer chaque professionnel, comprendre la mission voire le fonctionnement de ce dernier – et l’inverse ne se produit pas. Ce n’est pas toujours la communauté éducative qui va expliquer à la famille la partie qu’elle va prendre en charge. Du coup, cela crée une inégalité forte entre les familles qui peuvent devenir expertes de cette communauté éducative et celles qui ne le seront pas. Le territoire éducatif, c’est en quelque sorte la volonté de se mettre ensemble autour de la table pour répondre aux besoins des familles et des enfants – en les intégrant bien sûr. Les partenaires institutionnels que sont la CAF, les collectivités, l’Éducation nationale, n’ont pas les mêmes responsabilités et compétences, mais doivent veiller à ce que les professionnels de leur périmètre travaillent ensemble sur ces questions, en dépassant les mésententes et en prenant le temps.

Le territoire éducatif, c’est en quelque sorte la volonté de se mettre ensemble autour de la table pour répondre aux besoins des familles et des enfants – en les intégrant bien sûr.

Comment faire vivre ce territoire éducatif à Brest et concilier ces synergies ?

La bonne question est : quels moyens, quelle logique utiliser ? Territoires éducatifs

Le rôle de la collectivité est de travailler sur nos temps en responsabilités.

La « réunionite », ce n’est pas positif, même s’il faut apprendre à se connaitre. Le rôle de la collectivité est de travailler sur nos temps en responsabilités. On est les animateurs du développement social de nos territoires, donc de l’éducation. On finance les associations, on est le partenaire institutionnel de l’État, de la CAF avec qui on contractualise… On est le maillon central pour développer et animer les territoires. Certains enseignants craignent que les collectivités prennent le pas sur leur employeur, mais nous souhaitons au contraire un ministère de l’Éducation nationale et un État forts qui portent le fait que tout enfant de France ait le droit d’être éduqué – il faut pour cela « un capitaine sur le bateau ».

Par contre, la collectivité territoriale connait tous les partenaires du territoire et est dans un maillon de négociations institutionnelles auquel par exemple ce n’est pas le rôle de l’enseignant ou de la puéricultrice. C’est pour cela que je me bats sur le retour du projet éducatif territorial (PEDT) obligatoire : pour poser la question de l’enfant au centre de la commune.

Comment la Ville de Brest cherche-t-elle à créer des synergies éducatives ?

Pour cela, il faut un maillon institutionnel, un comité réunissant les différentes organisations et qui pilote l’évaluation et l’orientation de ce projet.

À Brest, des instances régulières réunissent tous les deux mois des inspecteurs et inspectrices de l’Éducation nationale (IEN), des directeurs et directrices d’école, la CAF et différentes institutions (département et région). Ces instances vont valider des projets concernant chaque quartier de la ville, fixer des priorités en fonction de la réalité territoriale (petite enfance par exemple). Un échelon par quartier. On va ensuite inviter l’ensemble des partenaires, depuis l’animateur de quartier jusqu’à l’enseignant à des réunions de quartier.

Aujourd’hui à Brest, pour avoir des subventions, on pousse au partenariat.

© geralt / Pixabay

Très concrètement, la ville pense un budget pour faciliter la mise en œuvre des projets co-construits – un peu plus de 200 000 euros par an aujourd’hui. Avant, l’État et la CAF participaient mais ce n’est quasiment plus le cas en dehors du contrat de ville. Aujourd’hui à Brest, pour avoir des subventions, on pousse au partenariat. Par exemple, une école à Brest ne peut avoir de budget « Grandir à Brest » si elle ne porte son projet qu’au sein de l’équipe enseignante. Elle va devoir aller chercher une association, des structures périscolaires non pas en tant que prestataire, mais en tant que partenaire. Une classe de découverte ne pourra être aidée par la Ville que si les enseignants ont travaillé au projet avec les animateurs périscolaires ou une association de quartier…

Cela oblige à créer des partenariats et ce, dans tous les sens. Il s’agit donc de pousser les gens à aller les uns vers les autres. C’est évidemment exigeant, compliqué, ça râle des fois sur le terrain, mais cela oblige les gens à ne pas se contenter de participer à des réunions mais à travailler ensemble. Quand on apprend à travailler ensemble, on apprend ses besoins, ses évaluations et ses obligations.

Un exemple d’action à Brest ? Territoires éducatifs

On a par exemple décidé de mettre en place des cours végétalisées dans plusieurs écoles. Mais au-delà de l’outil, c’est la méthode qui est intéressante. Ce n’est pas la cour végétalisée ou cour non genrée qui était notre seule priorité, c’est la cour comme espace public participatif et co-construit. En tant qu’élue, une belle cour ne m’intéresse pas forcément. Ce qui m’intéresse c’est comment elle a été construite, pensée.

Dans une cour de récréation, sept services de la Ville peuvent intervenir, on croise ainsi les savoirs.

On oublie le catalogue dans lequel on pioche les jeux à installer. Pendant quatre à cinq mois, enseignants, parents, animateurs, service des espaces verts de la ville vont réfléchir aux besoins de la cour et à la façon dont elle est utilisée, vécue. Dans une cour de récréation, sept services de la Ville peuvent intervenir, on croise ainsi les savoirs. Par exemple, le petit potager est très intéressant pour les enseignants, mais peut être très pénible à entretenir pour le service des espaces verts.

C’est l’occasion d’un travail autour de la démocratie

On va donc mettre tout le monde autour de la table – et à Brest, avec les enfants car ils sont les experts sur l’utilisation de la cour, ils peuvent expliquer où ils se sentent en danger et faire des propositions. C’est l’occasion d’un travail autour de la démocratie : comment on construit le vote, comment on va choisir le projet, ce qui est possible ou pas. On organise des rencontres avec les professionnels, avec des urbanistes par exemple autour de l’acheminement de l’eau pluviale notamment.

Cela a généré des débats entre les filles et les garçons […] entre les parents d’élèves et les enfants […]

Les enfants et les partenaires se sont donc impliqués dans une politique publique. Pas de cour refaite si on ne rentre pas dans cette procédure. Deux cours sont sorties avec cette méthode. Cela a généré des débats entre les filles et les garçons sur la place du foot dans la cour. Des débats ont aussi eu lieu entre les parents d’élèves et les enfants qui voulaient jouer dans l’herbe, les parents objectant que cela risquait d’être trop salissant. Chacun s’est mis autour de la table et cela a fini par ‘allez, on y va’. On a dû gérer les craintes que les écoles deviennent sales…

Alors, à quoi ressemble cette cour « inondable » ?

C’est une petite cour de ville entièrement bétonnée dont les trois quarts étaient avant occupés par le foot.

Les enfants ont voulu faire une rivière et une forêt. Les espaces verts ont pris le pari et ont fait une rigole d’eau pluviale qui rentre dans un bassin d’eau pluviale dont on a besoin que les enfants actionnent. Au milieu de cela, plusieurs arbres ont été plantés, qui entourent un lieu de discussion souhaité par les enfants, un lieu où ils se posent, où ils sont calmes.

Le terrain de foot maintenant n’occupe plus que 25 % de la surface. Il a fallu expliquer que, pour que la végétation pousse, il fallait du temps – ce qui n’est pas toujours facile à comprendre pour un enfant et certaines familles…

Quelle a été la place des enseignants et enseignantes ?

La logique où l’adulte a pris le pas sur les décisions d’enfant a été difficile à oublier notamment du fait de la sécurisation. Avec ce projet, on a perdu cette logique et on se doit maintenant de la réapprendre, et ce à tous les niveaux. Il y a une réappropriation et on se doit de convaincre chaque partenaire, les enseignants des classes notamment. On a eu des classes très mobilisées, d’autres non.

On doit donc retrouver le réflexe de travailler ensemble ; dans l’éducation, tout comme dans notre société, les choses ont été tellement sectorisées qu’on ne sait plus que l’on peut travailler, par exemple, avec l’agent des espaces verts pour imaginer la cour de demain. Des enseignants ont par exemple pu travailler sur l’urbanisme à partir de plans – ils en ont même dessiné ; d’autres ont travaillé les aspects sociologiques, la façon dont la cour était utilisée, les zones de peur ; d’autres n’ont pas souhaité s’y intéresser, donc pour les enfants de ces classes, le périscolaire a pris le relai ; enfin, certains enseignants ont travaillé sur la démocratie, le vote.

dans l’éducation, tout comme dans notre société, les choses ont été tellement sectorisées qu’on ne sait plus que l’on peut travailler, par exemple, avec l’agent des espaces verts pour imaginer la cour de demain.

Quels retours sur la vie de l’école ?

Les choses sont trop récentes, mais on sait par exemple que les cours équipées de panneaux de baskets ou de jeux permettent de canaliser les enfants et favorisent un climat scolaire plus serein. Mais il faudrait avoir une étude avec des sociologues pour savoir si ces cours végétalisées vont permettre de créer de nouvelles relations entre les personnes, les enfants, et si cela favorise l’apaisement.

Selon vous, le fait que Brest applique encore les 4,5 jours de classe a-t-il favorisé le dialogue ? Territoires éducatifs

© Annabel_P / Pixabay

Complètement. D’abord au niveau du temps, de l’espace-temps et des personnels qui sont dans les écoles sur les temps en responsabilité de la collectivité. Le fait que l’on soit sur cinq matinées, les enfants ont sans doute pu mieux le travailler. La Ville a nommé dans toutes les écoles des responsables de sites et des animateurs dans le cadre du projet éducatif qui doivent écrire un projet pédagogique. On est monté en charge même si on sait que l’on doit mieux former nos agent·e·s.

Rappelons-nous ce qu’étaient les garderies des écoles avant 2013 et ce qu’elles sont devenues. On y parle de pédagogies, on a des agents formés même s’il y a des critiques sur la qualité des temps d’activités périscolaires. On arrive aujourd’hui à renforcer nos animateurs sur le temps de pause méridienne (un pour quatorze enfants en maternelle, un pour dix-huit en élémentaire – c’était un pour trente-cinq avant 2014), à favoriser le lien avec les enseignants en ayant en tête les temps de l’enfant et la nécessité de faire ensemble. Territoires éducatifs

Avec l’Éducation nationale, on essaie […] de créer une coresponsabilité durant le temps de présence de l’élève dans l’école. Quand c’est accepté, il se construit des actions communes entre enseignants et animateurs.

Les responsables de site ont aujourd’hui des temps identifiés pour travailler avec les directeurs et directrices d’école, qui peuvent être en lien pour les familles. Avec l’Éducation nationale, on essaie ainsi de créer une coresponsabilité durant le temps de présence de l’élève dans l’école. Quand c’est accepté, il se construit des actions communes entre enseignants et animateurs. Cela passe absolument par la nécessité pour les collectivités de titulariser ces agents pour les sécuriser et garantir une stabilité des équipes même si la confiance, elle, doit se gagner. Territoires éducatifs