Bienvenue en « Absurdie »

Début janvier 2021 les dotations horaires tombent partout en France. 23 postes à supprimer cette année dans l'académie de Limoges, "switchés" par un coup de baguette magique en HSA. Une gestion des ressources humaines catastrophique à prévoir : explications sur les conséquences de tels choix.

De l’usage du mot neutre : heures sup contre heures postes

Dans le tableau national de dotation du budget, l’académie de Limoges semble ne pas subir de dommages. Le ministère de l’Education nationale nous attribue une dotation dite « neutre », 0 poste.

En réalité, il n’en est rien. Les heures postes sont remplacées par des heures supplémentaires. Comme si les deux unités de monnaie étaient interchangeables. En dehors de l’Education nationale, on pourrait s’étonner de cet échange : les heures sup ne coûtent-elles pas plus que les heures postes ?

Objectif : supprimer des postes ; méthode : par tous les moyens

Si le ministère augmente le nombre d’heures supplémentaires, il peut donc diminuer le nombre de fonctionnaires. Diminuer le nombre d’enseignants titulaires, c’est diminuer la masse salariale. Bref, c’est considérer l’Education Nationale avant tout comme un coût et non comme un investissement. Payer le plan de relance, diminuer la dette, voire financer la revalorisation des enseignants (!) toute autre dépense pourrait être citée. Avec cet affichage, nul besoin de le faire. Notre ministre va seulement rétorquer que la dotation est neutre !

Par ailleurs, le ministère affiche une augmentation du budget 2021 mais rappelons que la baisse de la part des dépenses d’éducation dans le PIB de la France depuis 20 ans équivaut à une diminution annuelle de 23 milliards d’euros …

Comment concrètement supprimer ces postes ?

Méthode 1 : augmenter le nombre d’heures sup qu’on peut imposer

Le nombre d’heures supplémentaires qu’on peut imposer est passé d’une heure à deux heures à cause d’un décret paru le 13 avril 2019. Les deux tiers des enseignants, d’après une note d’information datant déjà de 2018,  faisaient déjà 1h de plus en moyenne que leurs 18h de temps de service et un quart des enseignants en effectuaient plus de deux. En moyenne donc durant l’année 2018-2019, les enseignants faisaient 18h17 minutes. Sachant que des enseignants peuvent être à temps partiels de droit ou d’autorisation. En 2019-2020 effet atteint, on est passé de 18h17 à 18h23 selon la note d’information du ministère datant de 2019 

Autrement dit, l’impact se mesure dès l’année suivant la publication du décret.

Méthode 2 : freiner les temps partiels

Un enseignant à temps partiel ne peut pas faire d’heures supplémentaires. Mais il y a temps partiels et temps partiels ! Il y a les temps partiels de droit : enfants de moins de 3 ans, soins au conjoint·e, à un enfant à charge ou à un ascendant atteint d’un handicap notamment. Il y a les temps partiels sur autorisation. Cette autorisation est accordée par le supérieur hiérarchique, direct, à savoir le ou la chef·fe d’établissement, en cas de difficulté c’est la Division des Personnels Enseignants qui tranche.

Il suffit donc de les refuser. L’agent·e devra donc se justifier de la nécessité de ce temps partiel, si nécessaire pour raisons médicales, si le temps partiel n’est pas de droit.

Méthode 3 : supprimer les supports non complets

Imaginons dans un établissement un poste à temps incomplet. Il peut entraîner un complément de service dans un autre établissement. Sauf si on répartit sur le poste en question des heures de la marge horaire en attribuant à la discipline du collègue en sous-service. Il suffit de décréter qu’il n’y aura aucun sous-service, même léger, accepté. Puisqu’il faut caser à tout prix les heures sup et supprimer les heures postes, on peut aussi décréter qu’il ne sera plus admis qu’avec plus de 9h on peut maintenir un poste.

Une logique démographique ?

On pourrait rétorquer que le nombre d’enseignants est corrélé avec le nombre d’élèves. En théorie, oui. En pratique, si l’on examine la carte de la dotation ministérielle ci-dessus, non. Comment expliquer qu’une académie de la région parisienne en augmentation démographique « gagne » 185 heures dont…. 40 postes en moins !

1er effet de la « dotation » : poste perdu… où sera  le suivant ?

Certains collègues auront donc leur poste supprimé. Vont-ils pour autant en retrouver ? En théorie, mesure de carte scolaire (comprendre suppression de poste) équivaut à avoir droit au poste le plus proche de l’ancien. En pratique, encore faut-il qu’il y ait des postes pas loin ! En période de raréfaction de nombre de postes, voilà qui est beaucoup moins évident.

2ème effet : augmentation du nombre d’élèves par classe

Avec moins d’heures postes, la jauge fixée à 30 élèves en collège pour déclencher l’ouverture d’une classe et à 35 en lycée risque de ne pas être respectée et l’exception devenir de plus en plus fréquente. Au détriment des conditions de travail de nos élèves.

3ème effet : des profs plus malmenés et fatigués

Il est évident qu’après un certain âge, il est beaucoup plus difficile d’être concentré·e, patient·e, disponible pour des élèves de 17h à 18h après avoir enchaîné 6h de cours. Il est beaucoup plus difficile de supporter une ambiance bruyante de classe, une remarque d’élèves, etc. Bref, notre métier impose une certaine « fraîcheur » mentale.

4ème effet: des arrêts maladie à prévoir (voire des burn-out), surtout en contexte covid… problématique du remplacement

Nous avons dû être très « agiles » face au covid-19 et nous adapter à de nombreuses reprises à des modalités d’organisation du travail différentes. Nous sommes donc beaucoup plus fatigables…et fatigué·es ! Nous constatons autour de nous une augmentation du nombre de burn-out. L’administration ne communique pas ces chiffres, c’est donc, pour le moment, un ressenti syndical. Ce qu’il est en revanche beaucoup plus facile à démontrer, c’est qu’il y a des collègues arrêtés pour suspicion de covid, qu’il faut remplacer. Cela a déjà  augmenté le besoin en remplacement. Logique de l’augmenter encore ?

5ème effet: augmentation du recours aux contractuels

Il y a le même nombre d’élèves à encadrer voire plus ? Qu’importe, il suffira de recourir à l’embauche de contractuel·les qu’il sera plus facile d’affecter, soit sur des blocs horaires plus faibles – tant pis si leur salaire est très faible – soit sur des postes très éloignés.

En Absurdie

De l’impact global sur nos conditions de travail et la qualité de notre enseignement, ne pas investir sur l’avenir …

Après tout, ce n’est pas comme si nous avions vécu une pandémie qui nous avait tenu confinés et avait eu des répercussions sur les compétences de nos élèves, non ? Ce n’est pas comme s’il ne fallait pas essayer de renforcer leurs compétences, raccrocher les élèves qui avaient décroché ou préparer au bac en étant en enseignement hybride, non ?

Il serait plus que temps de se demander ce qui au final coûtera le plus à l’Etat, ce qui coûtera le plus à chacun·e d’entre nous en tant que citoyen·ne : financer des postes de profs pour faire progresser les élèves, réduire les inégalités scolaires, diminuer le nombre des sorties sans qualification ou payer des heures sup pour ne pas avoir à les financer ?