CTMEN du 3 octobre 2019 : la déclaration liminaire du Sgen-CFDT

- Comité Technique Ministériel de l'Éducation Nationale - Le Sgen-CFDT s'est également associé à une déclaration intersyndicale, lue en premier, qui se trouve à la fin de cet article.

L’émoi et le choc

L’émoi et le choc suite au décès de notre collègue Christine Renon ont provoqué de nombreuses réactions venant du terrain. C’est à l’issue de la lecture de nombreux emails qu’une citation d’un célèbre poème d’Alphonse de Lamartine nous est apparue comme une évidence.

 » Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours ! « 

Vous le comprendrez aisément, ces quelques vers nous amènent à aborder clairement la question de la différence entre travail prescrit et travail réel… Nous parlons de ces heures invisibles qui accaparent les personnels de l’Éducation Nationale mais ne sont jamais reconnues ni prises en compte même partiellement.

Les échanges avec de nombreux collègues depuis le suicide de Christine Renon montrent à quel point sa lettre renvoie chacun et chacune, dans tous les métiers, à la réalité de leur travail, un travail qu’ils aiment mais dont les conditions d’exercice se dégradent.

Les travaux d’Yves Clot sont une lecture dite classique au Sgen-CFDT. Travail prescrit, travail réel et organisation du travail au quotidien dans tous les métiers de l’Education nationale… Les mesures à prendre pour améliorer les conditions de travail et tenir compte de la réalité de l’intensité du travail, cela doit être LA priorité, nous prendrons notre part dans le dialogue que vous annoncez et il sera indispensable d’élargir la réflexion à toutes les catégories de personnels en prenant en compte les spécificités propres à chaque métier et fonction. Ce n’est qu’ainsi qu’il sera possible de mener effectivement une politique de prévention très en amont.

La réalité est têtue et peu reluisante :

Nous souhaitons illustrer cette attente générale par quelques exemples édifiants.

  • La 2ème journée de pré-rentrée à prendre dans le courant de l’année alors qu’elle a été faite 10 fois par de très nombreux PE ; ou encore, des réunions de rentrée certes nécessaires et non contestées concernant la sécurité de nos établissements… mais c’est bien la compilation de réunions à venir qui inquiètent…
  • Une seule médecin scolaire pour 30 000 élèves dans un département, dont la seule activité retenue par sa hiérarchie, qui lui demande en plus d’assurer les missions de MCT,  est la réalisation à la chaîne de visite pour travaux réglementés sur tout le département alors qu’elle croule sous des demandes  de famille et d’établissements qui nécessite réellement son expertise médicale.
  • Dans des services de DSDEN et de Rectorats, des gestionnaires sont dans un service où les 4/5ème des effectifs manquent et où le suivi des dossiers des agents ne peut être à la hauteur de ce que tout un chacun attend d’un service de ressources humaines réactif et de proximité.
  • Des gestionnaires savent les conséquences qui résultent pour leurs collègues de l’incapacité dans laquelle elles et ils ont été placées sur les conditions de travail, d’emploi voire de rémunération par exemple des agents non titulaires.
  • Des personnels d’enseignement et de direction qui ne savent toujours pas comment se dérouleront les examens auxquels ils doivent préparer les élèves.
  • Des personnels dont les missions, les conditions d’exercice vont être modifiés mais qui n’ont que peu voire pas de visibilité sur ces changements, comme à CANOPE ou pour les PsyEN par exemple.

Concernant spécifiquement le 1er degré, le Sgen-CFDT, afin de ne pas rallonger notre constat de rentrée, s’inscrit entièrement la situation décrite dans la déclaration intersyndicale.

AESH : des ratés d’une politique visant pourtant à améliorer leurs conditions d’emploi

Nous prenons acte de la volonté affichée lors du précédent CTMEN de faire un point d’étape autour des contrats des personnels AESH afin d’appliquer une réelle cohérence nationale; c’est en effet plus que nécessaire car malgré un cadre de gestion national, avec un pourcentage de temps de travail égal, une AESH de Bayonne ne travaille pas comme si elle était en poste à Colmar, une AESH de La Ciotat a un contrat de 36 semaines, celle de Nîmes de 52 semaines et à Quimper le salaire est différent de celui de Guéret… En parlant de salaire, encore trop de personnels AESH travaillent sans salaire versé au mois de septembre, au mieux un acompte suite à des directives bienvenues de la part de la DGRH ; nous ne pouvons non plus taire le fait que des AESH travaillent et ont travaillé sans contrat en septembre. Ceci est totalement inacceptable.

Des Rectorats et DSDEN affirment haut et fort que les contrats signés hors nouveau cadre de gestion ne seront pas concernés par des avenants de contrat même si le ministère leur réclame. Pour le Sgen-CFDT, ce n’est ni entendable, ni acceptable, le ministère doit intervenir pour que la réglementation s’applique, et que nos collègues bénéficient des améliorations qu’ils et elles attendent.

Même si nous notons positivement des actions de la DGRH pour une application du nouveau cadre de gestion des personnels AESH, la discordance entre les discours politiques et le réel nourrit la défiance, cela met notre institution commune en risque.

L’exemple le plus flagrant, que nous dénonçons depuis 10 CTMEN successifs concerne l’indemnité compensatrice de la CSG. Comme nous le craignions il y a 15 jours dans cette même instance, la signature des nouveaux contrats a provoqué la suppression du versement de cette indemnité auprès de plusieurs milliers d’AESH. Quand et comment comptez-vous réellement imposer vos propres directives nationales? Devons-nous ouvrir des milliers de contentieux? Nous y sommes prêts si vous nous répondez que le Ministère n’a pas de pouvoir sur ces sujets auprès des services locaux déconcentrés.

Lubrizol

Les problèmes posés par l’accident de jeudi 26 septembre à Lubrizol sont de deux ordres :

le problème de fond sur la localisation de ces usines et la réaction des autorités suite à l’événement.

Lors d’épisodes où l’urgence au sein d’une école, d’un établissement, d’un service déconcentré, se pose le problème de la réaction des autorités préfectorales mais aussi venant de l’Education Nationale. Le système d’alerte a visiblement dysfonctionné, l’alerte très tardive n’a pas permis de gérer au mieux l’accueil (ou non) des élèves. Les consignes données aux écoles et établissements furent très variables avec des collèges fermés mais des écoles ouvertes distantes de quelques mètres seulement! Les mairies elles-mêmes ne comprenaient pas toutes les consignes.

Pour le Sgen-CFDT, la santé au quotidien des élèves et des personnels de l’Education Nationale n’est pas un sujet secondaire, loin de là ! C’est pourquoi nous sommes particulièrement inquiet concernant l’avenir de l’Observatoire National de la Sécurité avec les récentes annonces gouvernementales, dans un contexte sur lequel nous ne reviendrons pas.

A la lumière des annonces dans le cadre du projet de loi de finances 2020, les constats sont clairs, certes le budget progresse, certes globalement le ministère ne supprime pas de postes, cependant, il ne résoudra pas la problématique d’intensification du travail que nous avons développé. Afin de proposer un service public d’Éducation de qualité et de répondre aux missions tentaculaires et chronophages que rencontrent tous les personnels de notre Ministère de tutelle, les chevilles ouvrières seront encore contraintes de mal faire leur travail. Dans le cadre de notre enquête nationale “Parlons travail”, nous notons l’explosion des retours circonstanciés des personnels dont le travail ne fait plus sens : des risques psychosociaux sont à un niveau inquiétant.

Déclaration intersyndicale

FSU, UNSA-Éducation, Sgen-CFDT, CGT Solidaires

Elle s’appelait Christine Renon, elle avait 58 ans était directrice d’école à Pantin, et aimait son travail. Depuis 30 ans au service de l’Éducation nationale elle s’est engagée, a donné son énergie, son temps jusqu’à l’épuisement. Elle a mis fin à ses jours, un samedi, dans son école, en laissant une lettre bouleversante, qui ne souffre d’aucune ambiguïté, dénonçant ses conditions de travail. Christine Renon était en souffrance professionnelle. Elle raconte fort bien les injonctions contradictoires, les tâches parcellaires, dénuées de sens qui détournent de la mission première de la direction d’école : animer et coordonner une équipe. Elle décrit un quotidien fait de tracas, du manque d’outils, et surtout d’isolement.

Ce n’est hélas ni le premier, ni le dernier suicide d’un personnel de l’Éducation nationale. Il a eu lieu dans l’enceinte scolaire, il est indéniablement lié au travail, aux conditions d’exercice des missions, au climat scolaire.

Le suicide et le courrier de Christine Renon suscite un émoi bien au-delà de Pantin, de la Seine-Saint-Denis, et des directeurs et directrices d’école. Alors que la pétition « plus jamais ça » frôle les 100 000 signatures, ce sont en réalité toutes les catégories professionnelles de notre ministère qui se sentent concernées. Des collègues nombreux et nombreuses, de tous nos métiers, nous racontent la fatigue, voire l’épuisement professionnel résultant de l’augmentation de la charge de travail, de la difficulté des conditions d’exercice, d’un sentiment de dépossession de son métier, d’être contraint et contrainte à mal faire son travail.

La FSU, l’UNSA-Education, le Sgen-CFDT, la CGT et Solidaires demandent des actes forts, des décisions rapides et concrètes non seulement pour la direction d’école et pour le premier degré, mais aussi pour tous les personnels :

  • directeurs  et directrices ont besoin de temps pour assurer leurs missions auprès du public et de l’équipe dans les écoles, il faut davantage de décharge de direction, un remplacement effectif des directeurs et directrices sans décharge pour que les jours de direction ne soient plus un leurre, il faut limiter drastiquement les sollicitations faites aux directeurs et     directrices pour que cesse la taylorisation de leur travail ;
  • les enseignant·es sont expert·es de leurs métiers, il faut sortir d’un pilotage injonctif ;
  • les remplacements doivent être assurés ;
  • des postes doivent être créés et pourvus par des titulaires pour que l’intensification du travail cesse et que le travail reprenne sens pour toutes et tous ;
  • une réelle médecine du travail et de prévention doit se déployer ;
  • l’analyse des suicides déjà réclamée collectivement en CHS-CT MEN doit enfin voir le jour : l’analyse de la prévalence des suicides et des congés maladies au prisme des conditions de travail doit servir à construire une réelle politique de prévention des risques psychosociaux pour tous les personnels.

Monsieur le ministre, Monsieur le DGRH, Madame la secrétaire générale, nous attendons, les personnels attendent des décisions à la hauteur des enjeux afin que la confiance n’apparaisse pas comme un vain mot. Nous souhaitons aussi vous remettre le texte intersyndical élaboré par les militantes et militants de Seine-Saint-Denis.